Pierre Soubiranne
Un archevêque cérétan
Pierre Soubiranne (1828-1893)
fut un archevêque en avance sur son temps. Il achèvera le procès
apostolique de Jean Marie Vianney, curé d'Ars et déclinera toute
une vie de création, d'humanisme et d'aventures...
... De Sébaste et Alger à Céret via Belley (dans L'Ain)
...
L'an mil huit cent dix neuf, le
17 novembre, en l'hôtel de la mairie de Céret, est célébré
le mariage de Jean Thadée Soubiranne i Rondoni, docteur en chirurgie
né à Arles le dixième jour de mars de 1758 et de Josèphe
Catherine Do i Marill, née à Céret le deux frimaire
de l'an X de le République Française, fille de Pierre Do, décédé,
et de Marie Thérése Marill.
La signature du future époux est d'une rare élégance, il
précise: Soubiranne, docteur. La jeune épousée (d'une honorable
famille cérétane) et sa mère ont, suivant la formule habituelle
"déclaré ne savoir".
Leur différence d'âge ne les empêche nullement de donner
le jour à François, en 1821, Pierre en 1828, le 23 janvier et
Joseph en 1831.
Pierre aura une destinée hors du commun.
Lorsqu'il naît, son père docteur en chirurgie a 69 ans, sa mère
25.
L'enfant possède une intelligence précoce. L'aisance financière
de ses parents et la clairvoyance d'un oncle prêtre, lui permettent d'être
accepté à Saint Nicolas du Chardonnet à Paris, auprés
de Monseigneur Dupanloup.
Le jeune Pierre ne tarde pas à rejoindre le Séminaire de Saint
Sulpice, dont le niveau est très élevé. Le voilà
ordonné prêtre et il rejoint le premier de ses découvreurs,
Monseigneur Dupanloup. Il suit son "patron" à l'évêché
d'Orléans (Soubiranne n'a que 28 ans) en temps que vicaire général.
Il a besoin d'activité, il va participer à la creation des écoles
françaises d'Orient et de Syrie. Il figure au conseil d'administration
auprès de Monseigneur Lavigerie, futur cardinal et archevêque de
Sébaste. Il accompagne l'archevêque au concile du Vatican. Lavigerie
était surchargé de travail à Alger, le pape Pie IX nomme
Soubiranne auxiliaire d'évêque avec le titre de "in partibus
infedelium" (évêque d'undiocèse disparu: Sébaste).
Voilà le cérétan consacré évêque missionaire
en 1872 en l'église Saint Augustin à Paris des mains de l'archevêque
d'Alger. Soubiranne aime cette vie à Alger qui lui permet de parcourir
la région.
De la main du biographe du cardinal Lavigerie on peut lire: "On remarquait près de l'archevêque un évêque jeune encore, d'une belle prestance, le front largement découvert, remarquablement distingué de paroles et de manières". Monseigneur Soubiranne est un esprit élégant, un homme de lettres et un homme du monde.
En 1878 notre évêque de Sébaste
demande à rentrer "au pays". Monseigneur Lavigerie le laisse
partir avec regret et tente de lui procurer un siège épiscopal
en France. Mais là intervient l'incident politique: Lavigerie est un
esprit supérieur. Il possède l'intelligence, l'éloquence.
Il aime à la fois diriger et persuader. Ses discours sont des chefs-d'oeuvre.
Il domine, et il aime dominer, mais il n'est jamais cassant. Il a des idéss
"avancées": il ne faut pas chercher à convertir mais
accepter avec chaleur ceux qui viennent. Plus tard il va rallier ses ouailles
à la République (quel courage à l'époque!), mener
une action humanitaire qui débouchera sur la croisade anti-esclavagiste
de 1888.
Il va fonder l'ordre des Pères Blancs, celui des Soeurs Missionaires
d'Afrique. Et le couronnement fut le fameux "toast d'Alger" le 12
novembre 1880, porté à la fin du banquet en l'honneur de l'escadre
de Méditerranée.
Mac Mahon est très cassant
Mais voilà: le gouverneur d'Alger se nommait Patrice Mac Mahon, Duc de Magenta - d'origine irlandaise et jacobite (détail cureiux car les jacobites sont écossais). Il est militaire lors de l'expédition d'Alger en 1830, farouchement légitimiste, héros de Magenta en 1859. Il devient Gouverneur d'Algérie en 1864 et il ne supporte pas la personnalité dominante de Lavigerie. Mac Mahon est très cassant.
1870 voit le voit vaincu à Sedan, prisonnnier des prussiens. Il commande l'armée des Versaillais lors de la commune, il sert la monarchie de juillet, le second empire et devient Président de la République en 1873 (on croit rêver). Il est impératif et Monseigneur Dupanloup qui lui réclame un siège en France pour Soubiranne reçoit un "non" catégorique. L'interdiction durera jsuqu'en 1879, date à laquelle ce fervent royaliste devenu Président de la République démissionne. Ouf! Lavigerie obtient vite une réponse à sa demande. Soubiranne obtient le siège Episcopal de Belley, dans l'Ain. Le re-voilà en pleine action, il fonde un collège, un orphelinat, et achève le procès apostolique de Jean Marie Vianney, curé d'Ars, le seul curé qui accède à la sainteté.
Sept ans après, il se retire dans sa ville natale, muni du titre d'Archevêque de Néo Césarée "in partibus infedelium". Il souffrait des séquelles d'un accident de voiture et se plaisait dans son mas - le mas Llamouzy - à mi-chemin de Fontfrède. Il n'avait jamais connu de soucis d'argent et la lourdeur de ses impots en témoigne. Il est précédé sur la liste des citoyens les plus importants par le docteur Delcros, propriétaire du couvent des Capucins et de la maison Delcros.
Lors de ses séjours à Céret, il loge chez un oncle prêtre, Pierre Do, rue Saint Ferréol, et décide dès 1868 d'acquérir deux maisons près du portail d'en Trilles. La précision avec laquelle il décide des acquisitions, des échanges, des récriminations contre un voisin qui dépasse de vingt trois centimètres sur son terrain, démontre la clarté de son raisonnement dans un domaine qui n'était pas le sien.
Il meurt au mas de Llamouzy (devenu le mas Soubiranne) le 17 juin 1893. Ses obsèques furent à l'image du personnage: l'évêque de Bellay, son successeur, vint célébrer la messe. L'oraison funèbre du Cardinal de Luçon eut droit à la publication. Pierre Soubiranne rejoignit la sépulture de ses ancêtres dans l'ancien cimetière. Mais au-delà de la mort, son repos fut un jour troublé. Pendant un gros orage la foudre tomba sur sa sépulture et provoqua l'ouverture de son cercueil.
D.A.V.
Originaux des articles scannés
(cliquez dessus pour agrandir):
Transcription du No 227 24-30 août 2000 de "La semaine du Roussillon"
Le toast d'Alger
Le 12 novembre 1890, le cardinal Charles Lavigerie (1825-1892), archevêque
d'Alger (1867) et de Carthage (1884), de retour de Rome où il a rencontré
Léon XIII, déclare à l'occasion d'un toast porté
à Alger devant les autorités militaires, maritimes et administratives
du pays :
"L'union, en présence de ce passé qui saigne encore, de l'avenir
qui menace toujours, est en ce moment, en effet, notre besoin suprême.
L'union est aussi, laissez-moi vous le dire, le premier vu de l'Eglise
et de ses pasteurs à tous les degrés de la hiérarchie.
Sans doute, elle ne nous demande de renoncer ni au souvenir des gloires du passé,
ni aux sentiments de fidélité et de reconnaissance qui honorent
tous les hommes. Mais quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée
; que la forme d'un gouvernement n'a rien en soi de contraire, comme le proclamait
dernièrement Léon XIII, aux principes qui seuls peuvent faire
vivre les nations chrétiennes et civilisées; lorsqu'il faut, pour
arracher enfin son pays aux âbimes qui le menacent, l'adhésion
sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment
vient de déclarer enfin l'épreuve faite, et, pour mettre un terme
à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur
permettent, ordonnent à chacun de nous de sacrifier pour le salut de
la patrie. [
] Entrer dans l'édifice pour en soutenir les colonnes,
faire de cette adhésion une uvre de résignation, de raison,
et pour les catholiques une uvre de conscience, puisque le pape en a donné
le conseil explicite : hors de là rien n'est possible, ni pour conserver
l'ordre et la paix, ni pour sauver le monde du péril social, ni pour
sauver le culte même dont nous sommes les ministres".
Le 28 novembre, le cardinal secrétaire d'Etat Rampolla écrit au
nom du pape à l'épiscopat français, exhortant "les
catholiques à prendre part aux affaires de leur pays, à tenter
en ce sens une uvre opportune et salutaire, entrant ainsi dans une voie
plus prompte et plus sûre pour atteindre le noble but du bien de la religion
et du salut des âmes".