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Les soldats français dans la tourmente

sur les pentes du massif du Bou Thaleb

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L'histoire de l'Algérie Française a été écrite par l'abnégation, le dévouement, les sacrifices, l'héroïsme, les drames de tous les nôtres. Le plus grand nombre de ces actes héroïques sont méconnus, aussi il m'est apparu nécessaire de faire connaître l'histoire dramatique vécue en 1846 sur les pentes du Bou Thaleb jusqu'à Sétif par nos soldats.

Après la capture de Ben Azouz, ex Khalifa d'Abd-el-Kader dans les Bibans, qui fut un acte très important et fit connaître les dispositions des arabes à notre égard.

Ben Azouz en défaveur s'était retiré à M'Sila ; il fut arrêté par les habitants de cette ville, conduit au Khalifa Mokrani, notre allié, qui le livra à l'autorité française.

La subdivision de Sétif présentait alors un état de paix satisfaisant. Notre action se déroulait de façon régulière, sous l'impulsion des deux principaux chefs qui secondaient le commandement militaire, le Khalifat de la Medjana El Mokrani et le Caïd Ben-Ouaci, deux auxiliaires précieux.
Le premier, intelligent et ambitieux avait compris que son intérêt l'attachait à notre cause, sa coopération paraissait franche et efficace.
Le second d'un courage et d'un enthousiasme admirables, originaire de Bône, appartenait à une famille de classe moyenne. Le caïdat des Eulmas et des Amer lui avait été attribué en récompense de ses brillants services comme soldat.

Intrigues fanatiques.

Telle était la situation dans la région, lorsque plusieurs fanatiques prenant le titre de chérif, furent envoyés par l'émir Abd-el-Kader afin de prêcher la guerre sainte, amplifiant ses succès.Ils se fixèrent au sud dans les monts du Belezma, dans lesquels Abd-el-Kader avait fait répandre à profusion la proclamation suivante :

Louange au Dieu unique Son gouvernement seul est durable 0 musulmans ! sortez donc enfin de l'aveuglement où vous a plongé votre commerce avec les infidèles Reconnaissez donc leurs ruses perfides, jugez-en d'après les faits.Lorsque les français ont voulu vous engager à vous soumettre à eux, ils vous ont dit : soumettez-vous, nous vous garantissons votre religion, vos biens, vos femmes et vos enfants.
Nous vous laisserons gouvernés par vos chefs habituels. Nous ne troublerons en aucune façon vos coutumes et nous respecterons vos lois. Nous nous occuperons seulement de veiller à ce que vous soyez justement gouvernés et à ce que vous ne soyez pas victimes des exactions qui pesaient sur vous, lorsque vous étiez soumis à votre ancien sultan Abd-el-Kader. Vous avez cru à ces paroles mensongères et, vous vous êtes soumis aux chrétiens. Aussitôt que l'impie s'est cru fort et, que pour quelques instants j'ai disparu au milieu de vous, il s'est empressé de manquer à ses promesses. Il a appliqué à vos mosquées des usages profanes.
Il a pris vos meilleures terres pour les donner aux siens. Il a payé de ses trésors la vertu de vos femmes. Il a enrôlé vos enfants dans ses abominables cohortes. Il a affranchi les esclaves que Dieu vous permet de posséder. Il s'est arrogé le droit de vous rendre la justice. Il a persécuté vos plus nobles familles. Il a changé vos chefs par infâmes musulmans qu'il a acheté. Vos nobles et les marabouts qui avaient été assez insensés pour le servir avec fidélité ont eu une prison éternelle dans le pays des chrétiens. Vous êtes maintenant commandés par des roumis, jugés par des roumis, administrés par des roumis. Et pour vous rendre plus visibles ses perfides intentions, voyez-le qui vient computer vos guerriers, vos femmes, vos enfants ainsi qu 'un maître compte les moutons qu ï/ veut vendre au marché ! Malgré la mission que Dieu m'a confiée de combattre l'infidèle jusque la dernière goutte de mon sang, je lui ai laissé quelque repos, je me suis éloigné du théâtre de la guerre, bien certain que le chrétien se perdrait par ses propres oeuvres. Le jour du réveil est arrivé. Levez-vous à ma voix, 0 musulmans ! Dieu a remis entre mes mains mon épée flamboyante, nous allons avec le sang de l'infidèle, fertiliser les plaines de votre pays.


Moulay-Mohamed, le plus important des agents d'Abd-el-Kader, s'était établi dans la région, rejoint par Abs-es-Selam, il annonçait que le temps était venu de chasser les Français du territoire musulman et il se donnait aux populations comme chargé d'une mission divine avec des pouvoirs surnaturels.
Ses principaux Khalifats se nommaient Si-Saâd, surnommé El-Tebbani originaire des Ouleds Tebban du Bon Thaleb et, Sidi-Salah natif de l'oasis de Sidi-Okba, surnommé Bou-Derbela car il faisait ses prédications dans les tribus avec un petit tambourin, appelé derbela.
Si-Saâd avait fait ses études dans une des mosquées de Constantine, où il était parfaitement connu et était parvenu à s'imposer aux populations qui l'entouraient, à leur faire croire qu'il avait des visions et que la mission divine dont il était chargé se dévoilerait à eux par la manifestation de pouvoirs surnaturels. Tels étaient les personnages qui intriguaient contre nous. C'est par de pareils mensonges que ces énergumènes entraînèrent toutes les populations du Hodna, du Bou-Thaleb jusqu'aux environs de M'Sila.
C'est à cette époque que la colonne commandée par le Général Levasseur qui était partie calmer les partisans de Si-Saâd, eut tant à souffrir dans le Bou Thaleb.

Terrible tempête de neige dans le Bou Thaleb au sud d'Ampère.

Après un rude châtiment qu'elles avaient infligé aux Ouled-Sellam, qui avaient pris parti pour Si-Saâd, les colonnes venues de Batna, de Constantine et de Sétif patrouillaient dans le Hodna où les populations avaient également apporté leur appui au chérif.
Le Hodna est totalement dépourvu de bois aussi il est difficile d'y manoeuvrer en hiver à cause du froid. Le Général Levasseur quitta son camp dans le Hodna et se porta sur Aïn Azel (Ampère), cette marche avait pour but de chercher une route assez facile pour pénétrer dans les montagnes des Mouassa et des Ouled Tebban. Cette immense chaîne de montagne présente des pentes suffisamment accessibles par le nord, alors qu'au sud les versants sont très escarpés, pierreux, d'un accès très difficile.
Le mouvement de nos troupes sur Aïn Azel avait fait supposer aux montagnards Chaouias et à Si-Saâd qu'elles battaient en retraite vers Constantine. Celui-ci, en cette circonstance exploita la crédulité des Chaouias, les persuadant que cette retraite était occasionnée par les pouvoirs surnaturels dont il se disait pourvu en sa qualité de marabout. Il était parvenu en deux jours à former un rassemblement hostile observant la marche de la colonne et commençant à punir les fractions qui avaient fait acte de soumission.
Le Général prévenu, partit le 28 d'Aïn Azel, arriva le lendemain à Ras Oued-Sisli, sur le versant nord du Bou Thaleb où se trouvait Si-Saâd avec son rassemblement qui fut immédiatement chassé de toutes les positions, perdit son drapeau qui fut enlevé par le goum du Caïd Mohamed-Seri-ben-Cheik-Saâd, des Rhiras-Dahara.
Le 30, le Général laissant son camp à Ras-Oued-Sisli, alla incendier tous les villages des Ouled-Tebban et faire vider leurs silos. Le village de Guedil, appartenant à Si-Saâd, fut détruit mais sa maison, située sur une position haute abritée par des rochers, n'ayant pas été remarquée échappa à l'incendie. Le goum n'ayant pas eu le temps nécessaire de vider tous les silos et afin de détruire tout ce qui appartenait à cet intriguant qui menait une guerre contre nous, le Général retourna sur ce point le lendemain 1er janvier pour compléter cette opération punitive.

Le 2 janvier, la neige commença à tomber et atteignit pendant la nuit une hauteur considérable.

Dans la matinée elle cessa, le Général crut prudent de quitter immédiatement la montagne.Pour descendre dans la plaine, il n'y avait qu'un petit défilé de 1.500 mètres à traverser, mais ce passage difficile menaçait de devenir impraticable si la tempête reprenait vigueur.
Vers sept heures du matin, la colonne profitant d'une embellie, se mit en mouvement. A la suite de l'avant garde, la moitié de la colonne avait gagné la plaine, lorsque vers dix heures des rafales de neige poussées par un vent glacial, virent arrêter le dégel et rendre le défilé infranchissable.


En un instant, les points les plus difficiles se couvrirent de glace et rendirent extrêmement laborieux le passage des bêtes de somme. La violence du vent, l'intensité des chutes de neige étaient telles qu'il était impossible d'entretenir des feux.
L'horizon était entièrement obscurci à une distance de vingt pas. Dans cette situation il était impossible de faire remonter la colonne afin de reprendre le bivouac de la veille. Il eut été d'ailleurs très dangereux de rester dans une position où la neige s'amoncelait avec une extrême rapidité et où le soldat ne pouvait espérer se chauffer aux feux du bivouac. On continua donc le passage dans le défilé, malgré les difficultés qui augmentaient à chaque minute. Le Général décida donc de diriger sa colonne sur Sétif, distant d'environ cinquante kilomètres.
La tête de la colonne commandée par le colonel Bouscaren, se dirigea vers cette destination. Il était à peu près cinq heures, lorsque le passage du défilé fut terminé. L'avant garde était arrivée au milieu des douars de la tribu des Rhiras.
Le Général, jugeant de la difficulté de continuer la marche dans de telles difficultés, les soldats étant affaiblis par la tourmente qui durait depuis plus de dix heures, fit abriter les plus souffrants sous les tentes. On ne s'était pas reposé de la journée, la couche de neige atteignait environ 60 centimètres, les guides ne savaient plus retrouver le chemin sur cette surface d'une blancheur uniforme. Il fallut passer la nuit dans la tribu, les hommes d'infanterie dans les divers douars des Rhiras. La cavalerie et l'artillerie ne purent profiter de ces abris. Toute la nuit les hommes de ces deux armes ne cessèrent de marcher en cercle, afin de ne pas être saisis par le froid et, aussi, empêcher que les chevaux et les mulets ne s'abattent engourdis. sLa nuit fut pour tous terrible.

La marche sur Sétif.

Le 4, dès que le jour permit de se diriger avec certitude sur cet immense plateau, la colonne se mit en marche vers Sétif où elle arriva tard dans la soirée. La neige avait cessé de tomber, mais le vent n'avait pas diminué d'intensité. Un grand nombre d'hommes n'avaient pu résister à la violence du froid, deux cents d'entre eux environ furent victimes de cette tourmente.
A Sétif, vainement le canon tonnait à chaque minute, du haut du fort Galbois, étalement des décharges de mousqueterie pour servir de guide à nos soldats égarés.
La population de Sétif en cette occasion, manifesta une vive sympathie aux troupes. A la première nouvelle, tous ceux qui possédaient des voitures ou des chevaux, allèrent spontanément offrir leurs services au colonel Dumontet, commandant la place. Ils se portèrent au devant de la colonne et pendant trois jours ne cessèrent de faire des aller et retours jusque dans la plaine de Ksar-Tir, à la smala du caïd des Rhiras, chez lequel avait été établie une infirmerie afin de donner les premiers soins aux hommes éprouvés par la tourmente.
Deux cent huit cadavres s'échelonnaient sur la route suivie par la troupe et près de cinq cents hommes furent admis à l'hôpital à leur arrivée à Sétif. Tous sérieusement atteints de gelures. Ce désastre, unique jusqu'alors dans la guerre d'Algérie, fut la conséquence d'une fatalité qui n'était pas prévisible.

Jean MARILL

Après avoir longtemps servi comme soldat dans l'armée d'Afrique, Jean MARILL s'était fixé à Sétif avec sa famille et avait créé une petite affaire de transport. Aussitôt l'alerte donnée, deux heures avant la nuit, Jean Marill se met en route avec toutes ses voitures et tous ses chevaux/ Malgré d'incroyables difficultés, il réussit à atteindre le gros de la colonne en perdition et réussit après plusieurs aller et retour à ramener à Sétif de nombreux soldats qui sans lui eussent infailliblement péri. Parmi tant de générosité et de courage de Jean Marill, nous pouvons encore en citer deux :
_ En novembre 1849, Jean Marill amenait un convoi de poudre, escorté par quelques fantassins, à notre armée qui combattait à Zaatcha. Un peu au delà de la plaine du Ksour, il est attaqué par plusieurs centaines d'Arabes. Il réussit à mettre ses voitures en carré et avec son escorte tient tête à l'ennemi dont le nombre croit sans cesse.
Il est enfin aperçu par un détachement du 3 eme régiment de chasseurs d'Afrique, qui fond au galop pour délivrer les assiégés, mais les chasseurs ne sont pas suffisamment en force, une sanglante mêlée s'engage, le cheval que montait le lieutenant commandant le détachement est tué. Cet officier tombe au milieu des arabes, qui se ruent sur lui afin de l'égorger. Jean Marill qui a vu le danger que court cet officier, vole à son secours, armé seulement de son fusil de chasse. De ses deux coups tirés à bout portant, il abat deux arabes, puis prenant le fusil par le canon, il fend le crâne d'un troisième. Fort heureusement des renforts arrivent, le lieutenant est sauvé, les arabes s'enfuient.
_Le 18 mars 1857, une portion du pont d'El Kantara à Constantine, s'était écroulée, l'autre portion menaçait de s'affaisser. Cependant on cherchait à sauver la conduite en fonte demeurée sur la partie du pont qui était encore debout. Le brave serrurier Bonnet avait défait les brides qui maintenaient les tuyaux de cette conduite. Mais il n'était possible de les enlever qu'à grand renfort de chevaux. Où trouver des chevaux ? Les lézardes du pont s'agrandissaient chaque jour et l'on se trouvait sur un gouffre de 130 mètres de profondeur.
Le seul, Jean Marill arrive avec un équipage de vingt chevaux et réussit à déposer sur la terre ferme, sans accident, tous les tuyaux qui omposaient la conduite. Comme l'ingénieur des Ponts et Chaussées lui demandait ce qui lui était dû pour son travail, il lui répondit : "Monsieur l'ingénieur, là où il y a du danger et où il s'agit du service de l'état, il n'y a pas matière de salaire".
Jean Marill a été enlevé en trente cinq heures, à peine âgé de quarante quatre ans, par un accès de fièvre pernicieuse.

Inscrivons son nom sur nos fastes algériens, à la suite des noms de tant de vaillants soldats, de tant de pionniers infatigables, moissonnés par le fer, par les fatigues, la maladie, le soleil.

Aucun mémorial ne fut édifié en souvenir du martyr de nos soldats lors de cette terrible tempête de neige dans le Bou Thaleb en 1846.

Par contre dans la région d'El Kseur en Kabylie, au 17ème kilomètre après la station de la Réunion, dominant la route, au milieu d'un épais massif de cyprès, se dresse le Tombeau de la Neige, monument élevé à la mémoire de 300 de nos soldats de la colonne Bosquet qui, les 22 et 23 février 1852, succombèrent dans une terrible tempête de neige qui dispersa cette troupe, en marche de Taourirt Ighil à Bougie, semant la route des cadavres de nos soldats.

Maurice VILLARD

Crédit : Revue Ensemble N° 02/04

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A quelques kilomètres du village, dominant la route au milieu d'un épais massif de cyprès, se trouve "Le Tombeau de la neige"*. Monument élevé à la mémoire des 300 soldats de la Colonne BOSQUET qui succombèrent dans une terrible tempête de neige les 22-23 Février 1852, alors que cette troupe rejoignait TAOURIRT IGHIL à BOUGIE.

Ref : Livret Guide du Syndicat d'initiative de BOUGIE 1914. Ceux de BOUGIE et de sa Région 2003.

*Partie de Bougie pour effectuer une opération de police en Grande Kabylie, la colonne de 1200 hommes, fut assaillie par une tempête d'une telle violence que pas une tente ne resta debout et qu'il fut impossible d'entretenir du feu. Les hommes tombèrent congestionnés par le froid.